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 HISTOIRE DES ÉDITIONS
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  • Le 13 juillet 1973 deux hommes se rencontrent dans l'un des plus beaux paysages du monde, dans une lumière qui semble faite pour les retrouvailles des dieux. La date sonne, de cette poésie des dates qui veut que treize et treize riment comme signes de cette chance qui les a conduit l'un vers l'autre dans cet endroit divin. Ces hommes pourraient échanger jusqu'à leurs initiales comme l'on échange des signes d'infinie politesse ou encore les arcanes de quelques secrets, ils sont tous deux A, ils sont tous deux M, ils sont ce jour-là tous deux, Art et Méditerranée : Aimé Maeght, André Malraux. À côté du premier une femme passionnée, Marguerite Maeght.

    Ce jour plein du secret des signes est celui de l'inauguration de l'exposition consacrée au Musée Imaginaire, idée qui a soutenu le voyage esthétique de Malraux à travers le monde, le monde de l'art et le labyrinthe de sa réflexion. La journée est faste et si la lumière pleut sur cette apothéose c'est parce qu'elle se devait d'être là, invitée obligée, compagne attentionnée de tout hommage à la peinture. Dans la poignée de main très officielle qui s'échange une question se pose : dans cet instant quel est de ces deux hommes celui qui doit se sentir honoré ? L'un est ministre, éternellement nobélisable, entouré du prestige que lui confère son œuvre et du génie qu'il a mis à entrer dans l'histoire en se placant dans la suite d'un homme d'autorité. L'autre en revanche est sans titre, sans parti, attaché à une activité complexe, la construction d'un Nom. Le premier cumulera dans la prolifération de ses livres les mille mots dont les œuvres sont faites et lancera dans ses discours toutes les forces de la rhétorique. Le second dont la carte d'identité indique la profession d'éditeur pourra toujours résumer son œuvre en deux mots, les deux mots de son nom : Aimé Maeght. Malraux a pu sans doute ce jour-là méditer sur la force relative de son propre orgueil devant un homme qui le recevait et qui n'avait eu pour le faire qu'à descendre quelques escaliers de sa propriété.

    Malraux venait de gravir la colline de Vence, Aimé Maeght venait de descendre du Mas Bernard et pousser le portail de ce jardin des arts qu'il avait fait dessiner dans son Olympe. Le mystère était donc ce jour-là de son côté. Au-delà de l'orgueil la rencontre des deux hommes étaient riches des milles connaissances que peuvent échanger deux hommes de la réussite et issus d'une même génération. Pratiquement du même âge, Aimé Maeght est plus jeune de cinq ans, les deux hommes ont vécu des aventures différentes mais portent ensemble les marques subtiles de leur temps, et leurs vies se modèlent, se rythment dans les événements qui fabriquèrent les destins de ce siècle. Mais plus forte encore que leurs chemins parallèles qui permirent à l'un de visiter l'Histoire et à l'autre d'accompagner l'Histoire de l'Art, la vie leur avait apporté au milieu de ses sourires et de ses grâces, une épreuve commune dont la douleur va, sans mots inutiles, les reconduire à leur humanité.

    Aimé Maeght avait perdu un fils, Malraux en avait perdu deux. Gageons que cette journée fut aussi celle de ce simple échange, d'une transfiguration dans la beauté du secret que portaient les deux hommes : la Fondation Aimé et Marguerite Maeght était née du désir de perpétuer une mémoire et l'œuvre esthétique de Malraux trahissait l'espoir de comprendre ce qui dans l'Art accompagne et transfigure la mort. Ce jour-là, tandis que le tableau de Takanobu montrait le portrait de Shigomori sur les cimaises de Vence, les propos de Malraux, s'ils s'adressaient au monde, s'adressaient d'abord aux " hôtes de passage " qui, seuls, pouvaient en entendre les mots : " La lumière de Vence est-elle meilleure que celle de Kyoto ? La matière semble fragile comme les ailes des papillons, prête à tomber en poussière, maintenue seulement par l'architecture de l'œuvre. La rigueur d'un papier collé de Braque, entailles noires sur fond mort. Le personnage n'a que l'importance des vivantes dont l'Italie faisait des Vénus. Seule, la psalmodie d'autre monde écarte une référence à la construction cubiste, ou pliage des enfants : cocottes, flèches, bateaux. Ce portrait d'ancêtre est un bateau des morts, surmonté du visage du mort qu'il emporte. " Inauguration de la Fondation Maeght, Aimé Maeght et André Malraux, 1964

    Ce fut donc ce jour-là Aimé Maeght qui permit à Malraux de réaliser dans ce lieu qui semblait prédestiné, l'exposition issue d'une vie de réflexions fulgurantes et ce fut peut-être ce jour-là que l'une des lignes de force de la personnalité d'Aimé Maeght apparut : ni le prestige de Malraux, ni l'importance de l'exposition réunie, ni la géniale conception de l'idée de Musée Imaginaire ne pouvaient dépasser le miraculeux prestige de la Fondation.

    À l'aune de l'extraordinaire personnage que fut Malraux, la personne d'Aimé Maeght prit définitivement figure d'énigme : Comment en effet, pouvait-il résister à l'image de celui dont l'histoire et la légende disent qu'il fut aventurier et homme de lettres, combattant et politique, visionnaire et pragmatique. Mais, semble-t-il, Aimé Maeght avait ce don magique de fréquenter les légendes, d'en faire son ordinaire, de ménager aux oiseaux ailés que sont les artistes, des aires de repos, des lieux où se poser. Ce jour-là la Fondation s'ouvrait comme un grand livre dans lequel les mots et la peinture trouvaient à se loger ; comme un grand livre à l'égal des grands livres que son goût d'éditeur avait ouverts à d'autres. La boucle était bouclée, l'homme dont nous parlons n'avait que ce don, mais un don rare, de savoir ouvrir des espaces, galeries, Fondation, qui ne fussent que des prolongements de sa,passion initiale, de son savoir premier, de sa magie secrète. Comment comprendre en effet l'aura dont jouissent aujourd'hui ses réalisations sans découvrir qu'elles ne sont qu'un long hommage au livre, à cet espace d'accueil archaïque où se posent ensemble des signes qui font à la fois sens et image. L'œuvre d'Aimé Maeght est un Livre et rien de ce qui se dit sur lui ne pourra faire sens si l'on ne se souvient qu'un jour un poète qui pensait la plus haute métaphysique du Livre ne s'est mis à faire passer les mots dans l'espace de la peinture en déclinant sur la page : " Jamais un coup de dés n'abolira le hasard. "

    Ce jour-là si Malraux était l'écrivain, Aimé Maeght était le livre ; il recevait, comme une page, et exercait ainsi son talent. Comment ne pas comprendre alors que son orgueil fût immense ? Comment ne pas comprendre qu'il pût tirer orgueil de cette simple affirmation : " Profession : Éditeur ! ".

    Mais avant l'Olympe, ce fut la vie. Parcourir cette vie conduit vers un mythe qu'Aimé Maeght a souvent, lui-même, organisé : indices et trompe l'œil s'égrènent dans ses propres témoignages, son passé était toujours son futur. Il nous faudra donc accepter de ne pas résoudre les énigmes et nous attacher aux éléments lisibles, visibles des circonstances de cette aventure. Une vie qui frappe par son étonnante mobilité. Non tant dans un goût pour l'errance ou le voyage mais par une curiosité dévorante, un appétit d'autodidacte, un fort désir de vivre. Ambroise Vollard dans ses " Souvenirs d'un marchand de tableaux ", souvenirs plus malicieux qu'exacts, conclut l'évocation de sa propre vie en écrivant : " Je n'ai pas, je ne connais pas de secret pour faire fortune. Mon expérience dont vous me demandez de vous faire profiter, me rappelle tout ce que je dois à mon invincible propension au sommeil. Maintes fois, l'amateur entrant dans ma boutique m'y trouva assoupi. Je l'écoutais, encore à moitié endormi, dodelinant de la tête en essayant péniblement de me réveiller. Le client prenant pour un refus mon inintelligible ronronnement, augmentait progressivement son offre. De telle sorte que quand j'étais à peu près réveillé, mon tableau avait obtenu une véritable hausse. C'est le cas de le dire la fortune vient en dormant. Et c'est la grâce que je vous souhaite. " Vollard bien sûr s'amuse de ceux qui demandent des recettes à la fortune mais il n'est pas loin d'avouer aussi un tempérament. Nul doute en revanche sur le tempérament d'Aimé Maeght, sa vie fut travail, initiative, curiosité, mais ambition aussi.

    Avant d'être le marchand de tableau que l'on comparera à Vollard, il multiplie les raisons de vivre qu'il cristallisera dans la vocation des métiers de l'imprimerie.

    Le jeune homme, originaire du nord, orphelin d'un père tué à la guerre de 1914, reçoit par le déplacement de sa famille, la grâce du midi. Nîmes. Tandis que les siens s'adaptent à une vie rurale, il ouvre les yeux sur des paysages et un mode de vie auxquels il restera à jamais attaché. Dans la familiarité des humbles, il va mettre toute sa soif de vivre à courir la campagne et la petite ville, s'appropriant les joies de l'enfance et de l'adolescence. Le midi sera pour lui le revers du malheur, et l'assurance qu'il prend dans ce nouvel espace est visible : il s'en nourrit et le dépasse. On le voit à la tête d'un orchestre de Jazz, le premier et longtemps le seul de la région, faire danser dans les fêtes votives où la jeunesse donne un sens à la nuit ; on le voit travaillant sous l'attention patiente d'instituteurs qui tour à tour remarqueront ses dons pour la musique, pour le dessin. On le voit coursier chez un boucher, travaillant sans états d'âme et tissant des liens d'amitié avec le monde coloré des commerçants de Nîmes, amitiés que jamais il ne reniera. Déjà l'on remarque sa silhouette, sa volonté de soigner son allure et le goût de la rencontre, fût-ce celle de milieux différents. Deux passions, la lecture qu'il aborde dans l'éclectisme de ses goûts et les appareils radios dont ils pénètrent les secrets.

    Dans une classe des Arts et Métiers du collège de Nîmes il apprend de sa propre volonté le métier de dessinateur-lithographe : Aimé Maeght vient d'entrer dans les corporations de l'imprimerie, Aimé Maeght vient de vivre une première vie, riche d'une expérience qui manque tant à d'autres, celle d'un bonheur qui s'invente. Il a vingt ans, il s'appelle Aimé et déjà veut l'être.

    En 1926, à Cannes, l'Imprimerie Robaudy embauche. Les milieux professionnels le savent, Aimé Maeght l'apprend. À une époque où la population française est particulièrement stable, où seule s'exerce parfois la fascination de Paris, la décision d'aller à Cannes est déjà la preuve d'un esprit décidé. Il rejoint en fait une grosse entreprise que connaissent tous les gens du métier. Seconde découverte qui vient à point nommé : le Gard et les environs de Nîmes furent pour lui un lieu maternel, une terre d'aventures aux dimensions de l'enfance, un espace à explorer sous l'œil complice des amis, des voisins ; Cannes et la côte d'Azur qu'il découvre lui offrent des horizons autres.

    Le Gard est l'antichambre de la Méditerranée et procure à celui qui y vit les fastes du climat sans poser la question plus profonde de la présence de la mer. C'est cette question que poseront plus tard de jeunes poètes qu'Aimé Maeght réunira autour de lui. Mais pour l'heure, le futur éditeur est au pied de la lettre. Au sein d'une grande imprimerie comme l'était Robaudy la reconnaissance se réalise à partir de la compétence. L'on travaille, mais le verbe est haut, la plaisanterie rapide et l'amour-propre paie cher la moindre erreur dont dépend en aval et en amont le travail des autres.

    Le travail d'imprimeur est tel que lorsque la machine est partie, tous les corps de métier travaillent en sur-régime. Les mains du dessinateur-lithographe forment des parenthèses dans cet univers d'urgence et de folie : le travail ici s'arrête, le temps au moins que celui que l'on appelle le " chromiste " opère les gestes de reports, sélectionnant la couleur et traçant à l'envers sur les calques la forme qui viendra se poser sur la pierre ou la plaque. L'on comprend alors que celui qui trace doit avoir plus qu'une compétence technique mais quelque chose en plus qui s'appelle le goût. Lorsque la commande concerne une affiche des Chemins de Fer, comme l'on disait à l'époque, le chromiste se doit d'être juste et rapide, mais lorsqu'un artiste apporte une maquette le chromiste a le devoir simple de se faire accepter. Dans les grandes imprimeries parisiennes comme Mourlot chaque artiste qu'il fût Picasso, Chagall ou Matisse, aimait à s'assurer la collaboration du toujours même chromiste : il s'agissait pour l'artiste non seulement de confiance et de l'assurance du respect mais, parfois, plus encore d'être guidé dans des techniques qui conservent quelques secrets même pour les plus grands : un trait doit être ferme ou souple, une couleur doit s'accorder. Le chromiste déchiffre autant le travail apporté par l'artiste que l'intention qui s'en dégage : combien d'artistes verront ainsi leurs travaux achevés ! C'est ce superbe métier qu'exerce Aimé Maeght.

    Chez Robaudy le jeune homme fait rapidement sa place ; très vite on lui confie les travaux délicats, ceux qui demandent plus d'interprétation que le simple talent d'exécuter. Le travail sur les affiches innombrables qui lui sont proposées et que bientôt il concevra, le conduit très progressivement à s'affirmer comme un excellent concepteur dont le sens de la mise en page est d'une redoutable efficacité. Tous les témoins confirment que les divers talents d'Aimé Maeght devenaient manifestes dans cette activité : plus d'un, depuis ses compagnons d'atelier, jusqu'à son fils Adrien qui fut le témoin privilégié du développement des Éditions Maeght, ainsi que Jean Clair qui réalisa pour lui Les Cahiers de " L'Art Vivant ", disent à quel point Aimé Maeght excellait dans cette opération délicate qui consiste à décider d'une mise en page. Aujourd'hui le graphiste se fait souvent assister de tous les moyens techniques dont dispose l'imprimerie moderne : il est aisé de sortir des caractères dans des corps différents qui permettent le tatonnement, la comparaison de visu, de développer, de réduire, de se placer en face de tous les possibles.

    Aimé Maeght portait en lui cette connaissance professionnelle qui permettait par une vision intérieure de définir tous les partis qui assureraient la perfection de la mise en page et l'efficacité du jeu des couleurs. Gains de temps, efficacité, réussites autant de données que le grand patron qu'était Robaudy ne put que remarquer. Dans cette entreprise Aimé Maeght va très vite devenir un personnage, celui qui sait les signes, celui qui sait la page, celui qui enfin approche sans le savoir peut-être, l'identité qui l'attend. Avant de feuilleter le volume de sa propre vie, avant de devenir le livre, il se penche quotidiennement sur cette surface où il sait exercer ses dons et qui lui devient familière. Rien n'est répétitif dans son activité puisqu'elle est liée à la surprise de la commande, puisque devant elle il est en attente d'un destin qui viendra jusqu'à lui. Ce sera sur cette aire qu'un jour, plus tard, un dessin de Bonnard viendra se poser. Aimé Maeght voyage sur la page, attentif aux bonheurs qui viennent et qui le visitent.

    Il rencontre celle qui allait devenir Marguerite Maeght. À ses côtés, à compter de leur mariage en 1928, il a alors une compagne qui semble avoir aussi la main de la chance et un don rare que l'on pourrait appeler l'aptitude au bonheur : peut-être est-ce même l'essence de la culture méditerranéenne que sa personne incarne. Elle est d'abord d'une insondable intuition sur la valeur des êtres, sachant voir et juger ceux qui croiseront leur route et qui se multiplieront au fur et à mesure que la réussite accompagnera le couple. Elle est aussi le simple goût du commerce que partagent les milieux les plus simples qui approchent la Méditerranée. Elle est enfin apte à suivre l'invention permanente dans laquelle la fera vivre l'homme qu'elle aime et qui n'ira pas sans quelques risques. Marguerite Maeght sera le régulateur d'une activité débordante sans jamais être un frein et jamais de sa part une attitude timorée ne viendra contrarier les élans qui vont faire la carrière d'Aimé Maeght. Sa clairvoyance comme sa faculté à l'enthousiasme n'auront d'égal que son naturel. C'est ainsi qu'un jour son visage se multipliera dans les carnets de dessin de Matisse : une autre manière, qui fut sienne, de rejoindre la page.

    Le monde d'Aimé Maeght va de ce jour s'enrichir : un fils, Adrien, naît en 1930, bientôt spectateur du désir d'action de son père. Ce dernier de toute évidence désire accélérer le rythme de sa vie : Aimé Maeght sensible à l'air du temps qui dans les années trente commence à souffler sur Cannes diversifie ses activités. Cannes est encore à l'époque une station d'hiver dont on vente sur les affiches que souvent Aimé réalise, le climat bénéfique. Le casino n'ouvre encore qu'en " saison ", c'est-à-dire l'hiver ! La Croisette porte bien son diminutif et appartient autant aux Cannois qu'aux quelques limousines qui commencent à s'y donner rendez-vous. Aimé Maeght veut prendre une rapide indépendance ; cessant d'être salarié chez Robaudy, il fait une tentative pour devenir à son tour imprimeur.

    Sa conception de l'entreprise est immédiatement artistique : que chacun travaille dans le génie et que l'intendance suive ! Aimé Maeght doit revenir sur ce projet bien nommé " Imprimerie des Arts " et renouer avec l'imprimerie Robaudy qui aura l'intelligence de laisser à sa disposition un atelier où il puisse à la fois développer ses idées personnelles et assurer les piges que son employeur ne cesse de lui proposer. L'imprimerie des Arts sera toutefois l'embryon du grand œuvre qui sera réalisé plus tard à Paris ; elle exercera une activité épisodique jusqu'en 1946. Toute l'attention d'Aimé Maeght est portée vers une idée qu'il cherche, qu'il approche pas à pas et qui lui permettra de se préparer aux opportunités que lui prépare le destin. La chance prend ici la figure du désir de la chance, de l'opiniâtreté. Lorsqu'il fera enfin les rencontres qui seront pour lui essentielles, il aura à offrir son désir, son savoir-faire et l'énergie infinie qui n'a pas encore trouvé son objet. Il s'agit bien de cela : agir, multiplier les angles par lesquels l'on peut mieux voir la vie, sentir l'époque et parvenir à saisir ce qui se passe dans ce Cannes qui lentement se transforme.

    Aimé Maeght devient l'homme de tous les progrès, de toutes les ambitions. En 1936 s'ouvre, rue des Belges, sous la gérance attentive de sa femme un magasin qui vend des appareils radios Clarville et les meubles " modernes " qui vont avec. Aimé Maeght et sa famille vit alors dans ce décor de " réclame ", celui qui fait rêver cette nouvelle France qui aborde timidement la consommation. Mais le papier n'est pas loin, dans l'arrière-boutique, où Aimé Maeght installe ce qu'aujourd'hui l'on appellerait une agence de publicité. En compagnie d'une collaboratrice qui deviendra plus tard l'assistante céramiste de Picasso, il crée à la demande, des affiches, des sigles, des conditionnements ; tout ce qui au fond n'existe pas vraiment encore mais dont la nouvelle économie à besoin. Tour à tour concepteur, styliste, " désigner " selon un barbarisme actuel, il aborde et devance ce qui sera l'avenir le plus original de l'imprimerie. Il fait cela bien sûr pour vivre mais aussi pour le plaisir d'inventer, par un besoin aussi, inassouvi, d'aller vers des activités nouvelles. Adrien Maeght dans la librairie de la rue du Bac Pour comprendre qui pouvait être Aimé Maeght à cette époque il faut imaginer l'homme dans deux épisodes qui laissent entendre que l'on peut être à la fois au four et au moulin. En 1936 dans l'atelier dont il dispose chez Robaudy, Bonnard qui doit faire exécuter une affiche le remarque et lui fait le premier des nombreux hommages que la peinture serait amenée à lui faire : " On sent que vous avez appris la chromolithographie pour arriver à accorder ce beige et ce rouge avec la chair ". Bel hommage d'un peintre dont le mot clef était " la chair " quand il parlait de la résistance de la peinture. Ce fut un mot et l'on en resta là, dans le plaisir d'avoir été reconnu par un maître. Bonnard ferait plus tard une seconde entrée décisive dans la vie d'Aimé et Marguerite Maeght. Mais tandis que les feux de la peinture se rapprochent Aimé Maeght mord dans la vie à pleines dents. Profession : Éditeur, disions-nous, il l'est en cette même année 36. Nous attendrions pour la beauté du mythe qu'il éditât son premier livre d'art. Ce serait oublier que l'homme vit ses passions et les plaisirs de sa jeunesse et de son époque. L'équipe de Football de Cannes vient de remporter un titre national, on éditera donc avec la jubilation de la vie " Allez Cannes ! ", le journal des supporters ! Et pour faire bonne mesure, et pour être plus moderne encore, l'on fait aussi les premières retransmissions radiodiffusées des matchs importants. Aimé Maeght et son fils courent les stades, le père commente, interwieve et tous deux se précipitent ensuite à l'aide d'une immense et très vieille voiture américaine vers la station Nice - Côte d'Azur pour livrer les bobinos et faire les commentaires " à chaud ". L'on vit dans la chaleur d'une époque qui est celle des enthousiasmes populaires. Aimé Maeght encore une fois est de son temps, avec peut-être quelques longueurs d'avance sur le commun des mortels. C'est dans ce contexte qu'Aimé et Marguerite Maeght vont réellement approcher la peinture. Dans cette alchimie de la réussite les composantes sont les suivantes : d'un côté un homme dont la polyvalence est évidente ainsi que l'énergie ; de ce même côté l'activité et la compétence d'un amoureux du graphisme et de la mise en page, professionnel de talent dont l'intuition et la créativité sont réelles. Naît dans son esprit à cette époque l'idée d'une revue " Arte " dont les maquettes montrent une approche de l'art par la voie détournée de la décoration. De ce même côté encore la faculté de Marguerite Maeght à suivre et à gérer dans le réel la foisonnante créativité d'Aimé Maeght. Ils forment en fait à eux deux ce que l'on a l'habitude d'appeler le couple d'artistes, avec d'un côté l'imaginaire et de l'autre le principe de réalité. Mais la réussite que va vivre ce couple n'ira pas sans quelques facteurs extérieurs, sans la visite du hasard. Lorsqu'à cette époque Marguerite Maeght accroche quelques tableaux dans sa boutique, elle le fait pour agrémenter la présentation de son magasin, il est trop tôt encore pour parler d'une galerie d'art. Mais la peinture est là, encore accessoire, comme un signe encore inintelligible. Mais l'Histoire est là, plus encore, accumulant les forces qui allaient changer l'ordre du monde et nombre de destinées individuelles. En 1939, Aimé Maeght ne sait pas qu'il est dans ce temps de crépuscule à la fin de sa seconde vie, sur la première marche de ce qui sera dans le chaos d'une époque, le début de son œuvre. Été 39, été 40. L'Histoire est faite d'événements mais aussi de géopolitique. La " drôle de guerre " va faire naître Cannes, l'exode va faire de la Côte d'Azur le nouveau pôle intellectuel et économique de la France battue. Tous ceux qui vécurent cette époque dans ce contexte géographique et qui gardent à ce propos quelqu'objectivité, soulignent l'étrangeté de la situation. Si le patriotisme ou la conscience nationale pouvaient souffrir de la tournure des événements et des premiers malheurs dont chaque famille était touchée, cette région de France voyait le cours de ses jours transformé. Cannes devint à cette époque ce que depuis elle n'a jamais cessé d'être : le casino reste ouvert pour la première fois en été et les événements récréatifs et artistiques se multiplient. Les artistes affluent, et l'intelligentsia n'a pas encore pris la décision de l'héroïsme. C'est l'époque où Gide organise des conférences littéraires pour soutenir quelques-uns de ses amis menacés par ce qui ne sont encore que des " tracasseries ". C'est l'époque aussi où Sartre et Simone de Beauvoir à la tête d'un très utopique et très intellectuel comité de résistance sont recus par Malraux dans une luxueuse propriété de Beaulieu où le repas fut servi, dirent-ils, par un serviteur en gants blancs. C'est l'époque enfin où le magasin de Marguerite Maeght se vide : la production se désorganise et les produits manufacturés se font rares. Très vite, il ne restera plus que sur les murs, la peinture ! Et voilà que timidement, elle se vend ! Marguerite Maeght connaît un peintre local Pastour dont elle aime la personne et qui incarne ces belles figures d'artistes en lavallières. Aimé Maeght ne sera pas long à attirer autour de lui d'autres peintres plus jeunes qui déposeront chez lui leurs tableaux : André Marchand, Geer, Van Velde, Villeri, Dommergues, Gilbert Rigaud, Dany Lartigue fils du photographe, et d'autres encore. Mais à l'origine de ce travail de marchand il y a le miracle d'une anecdote, d'une rencontre que l'Histoire nous l'avons dit, explique largement, mais qui conserve en elle le sel des destinées. En 1940, Aimé Maeght effectue des périodes de réserviste sous les drapeaux à Toulon. Marguerite Maeght tout à l'importance de son rôle de chef de famille prend à son tour des initiatives : Madame Lebasque, veuve du peintre, lui confie les premiers tableaux importants que vendra la galerie mais fait pour elle plus encore : pourquoi ne s'adresserait-elle pas à Bonnard qui est un ami des Lebasque ? La jeune femme qui ne situe pas bien l'importance du peintre ira sur le champ lui proposer ses services. Bonnard gardera intact jusqu'à la fin de sa vie le plaisir de raconter l'anecdote. Non seulement Marguerite Maeght ne doute pas d'obtenir un tableau du maître mais lui laisse entendre vertement que les prix qu'il avance sont absolument déraisonnables. Elle sait de quoi elle parle puisqu'elle vend des Pastour et maintenant des Lebasque ! Bonnard amusé, comme une fée aurait pu l'être, se souvenant peut-être du " chromolithographe " qui avait le sens de " la chair ", lui donnera un tableau en maintenant son prix, lui demandant d'essayer de le vendre. Aimé Maeght rentrant de Toulon aura la vision incroyable d'un Bonnard trônant dans sa vitrine : le temps de le voir, le temps de le vendre ! Aimé Maeght s'était préparé à la chance. Elle lui est venue dans ces temps incertains où la Côte d'Azur encore loin des combats vivait l'étrange période qui suivit l'Armistice. Certaines fortunes ont besoin de vendre et d'autres d'acheter. Le marché de la peinture ainsi que la circulation des œuvres n'étaient pas, bien sûr, au centre des préoccupations nationales. Ce sont à la fois des refuges et parfois même la " couverture " idéale pour des acteurs illustres de la Résistance. Pratiquant son nouveau métier de marchand, Aimé Maeght sera ainsi en étroite relation avec la sœur de Jean Moulin qui, comme lui, ouvre une galerie, mais à Nice. Il sera même amené à nourrir sa galerie dans les mêmes conditions que le fit Jean Moulin qui dans la clandestinité était devenu sous un autre nom " marchand de tableau ". Les deux hommes sans se connaître feront les mêmes voyages à Paris prenant livraison d'œuvres prestigieuses qu'ils rapatrieront dans le midi pour les mettre à l'abri ou les revendre selon l'intention des collectionneurs. Aimé Maeght aura toujours la facilité pour passer la ligne de démarcation des prétextes que lui donnent la souche originelle de sa famille restée dans le nord. Il aura la délicate tâche de peindre par-dessus des chefs-d'œuvres des marines ou des scènes de genres qui redeviendront dans l'arrière-boutique de la rue des Belges à Cannes, des Utrillo, Boudin, Cézanne, Renoir, Monet, Manet, Sisley, Degas, Rouault, Braque, Matisse ou Picasso. En 1942, c'est au milieu de ce florilège que les Maeght auront un second fils, Bernard. À la fin de la guerre Aimé Maeght a rencontré la plupart des peintres vivants et célèbres et a connu de très nombreux collectionneurs. S'il n'a pas fait fortune, étant resté dans la situation du courtier, il n'en a pas moins acquis un tissu de relations qui se révéleront après la guerre, irremplaçables. Dans l'esprit d'Aimé Maeght qui put dès cette époque comprendre tout l'avenir qu'il lui serait possible d'avoir dans la peinture, couve le désir de son identité véritable. Il se sait éditeur, il connaît son savoir que ne vient pas distraire son nouveau savoir-faire. Au début de l'année 1944, alors que la réalité des combats touche le sud de l'Europe et que les plages méditerranéennes sont promises à un débarquement, Aimé Maeght s'attache à la plus curieuse des activités : réunir dans une pratique d'éditeur la poésie et la peinture. D'où pouvait venir un projet aussi singulier dans une telle période héroïque, sinon d'un furieux désir, d'une volonté irrationnelle de réaliser une identité propre ? Le mariage de la peinture et de la poésie sera sa grande idée et il la réalise à l'heure où tout dans le monde affiche la violence et la laideur. L'histoire d'Aimé Maeght alors se précipite, à l'image de l'Histoire qui semble elle aussi avoir décidé qu'il fallait mettre fin à l'horreur : dans l'insécurité où vit alors chacun dans les derniers mois de la guerre les rencontres sont essentielles ; les hommes doivent se compter et essayer de deviner de quoi les lendemains seront faits. Aimé Maeght pense édition dans l'incroyable contexte de pénurie dans lequel la France se trouve : il s'agit de sa part peut-être plus d'un réflexe pour continuer à être inventif que d'une véritable intuition prospective. L'homme en fait se replie sur lui-même et va de ce fait, paradoxalement, s'ouvrir aux autres et réunir autour de lui ses premiers collaborateurs inspirés. Trois noms doivent être associés à cette période de la vie d'Aimé Maeght, écrivains et poètes qui vécurent les moments de grâce et d'innocence d'où naissait l'aventure d'un empire marchand. Trois hommes conduits plus tard à quitter une galerie et un homme, transformé en puissance, en pouvoir et qui sut très vite avoir les griffes du pouvoir. En 1944 dans l'impasse obscure où se trouve la France, des hommes ont la force de rêver : Léon-Marie Brest, poète, homme mûr dont l'imaginaire est entièrement tourné vers la Méditerranée : Jacques Gardies, rédacteur à la préfecture de Nice avant de commencer une carrière d'avocat, écrivain ; et surtout Jacques Kober qui dans sa dix-neuvième année, achevant des études de littérature et de philosophie, a toute son admiration de jeune poète tournée vers le surréalisme. Jacques Kober aura dans ce groupe les intuitions majeures : il sera d'une part celui qui saura nommer et qui égrainera au fil de sa collaboration les noms des collections qui deviendront les fleurons historiques des éditions Maeght : " Pierre à Feu " qui, d'abord manifeste littéraire, deviendra le nom d'une collection, puis de la librairie ouverte dans les locaux de la galerie parisienne ; " Derrière le miroir " qui servit à accompagner les expositions et qui apparaîtra comme une forme absolument originale à côté des rituels catalogues ; " Les Mains Éblouies " qui désignera un type d'exposition particulière que la galerie de Paris consacrera pendant quelques années aux jeunes peintres. Avoir donné les " mots " serait déjà œuvre suffisante pour le jeune poète, mais il fera plus. L'originalité de sa pensée, son enthousiasme, le lien personnel et profond qu'il entretient avec la poésie surréaliste, lui permettront d'attirer vers les éditions Maeght une pléiade d'écrivains, impressionnante. Mais en février 1944, date à laquelle ces hommes sont réunis par Aimé Maeght, tout cela est en devenir. Ces hommes ont un souffle : quelques pages paraissent dans ce qui pourrait s'appeler le numéro zéro de la collection " Pierre à Feu " et disent ce qu'il en est de leurs espoirs. Illustré par Casarini les pages offrent ce texte : " Notre désir de puissance, d'art collectif tend vers cet être eurythmique semblable à un vaisseau en mouvement dont la perfection atteint la suprême simplicité. Ceux qui nous écoutent n'ont pas que le sentiment de le savoir, alors qu'ils veuillent avec nous la préfiguration de la liberté comme d'une flamme qui dévore, qui dénude. Pas d'invocation, pas d'actualité. Nous n'avons rien d'autre à dire que cette arme, qu'elle sorte de nous de peur qu'elle ne s'y empoisonne. Ne prennent des masques que ceux qui sont des masques, le piège qui se dresse est aussi simple qu'un miroir, c'est l'attitude d'une conscience. Mais nous plongeons par exemple dans la peinture parce qu'elle est l'ébauche du miroir, d'une déformation qui s'étale ; c'est le spectre, c'est l'image qu'on devra suivre qui monopolise notre œil comme le fait le soleil, c'est l'estime livide d'un désaccord, c'est cette déclaration qu'on écrira, celle du monde victime de cette association verbale. Il n'est pas coûteux de bâtir sa maison mais de l'habiter. Un seul moyen, ouvrir le champ. On commence une nouvelle collection de papillons, mais si le peintre laisse des vides c'est pour plus de conscience. Tiré par de grands chemins de sel presque aériens vers une transparence de pierre, faisons une manière de vivre qui soit la vibration des choses qui partent du paysage, celle du bord du fleuve marin. " L'idée de " Pierre à Feu ", par la plume de Jacques Kober naît du désir profond de vivre l'entité méditerranéenne dans l'évocation solaire de la Provence, mais aussi de plonger dans la symbolique des quatre éléments : l'air, le feu, la pierre et l'eau. André Marchand en dessinera le symbole, repris ensuite par Matisse. Cette première plaquette où les écrits sont anonymes, désigne ses lignes de force : être un accompagnement de la peinture, tracer les mots d'une proximité. Le lyrisme et l'idéalisme des propos sont aussi sous-tendus par ce désir de parler, d'exprimer, tout ce que les voix ne pouvaient dire autrement que par la poésie. Les Cahiers de " Pierre à Feu " auront un développement prestigieux. Le sommaire parle de lui-même : il décline tous les noms qui comptent à l'époque et les " illustrateurs " les plus grands. Mais leur essor se fera sur d'autres terres, dans un Paris d'après-guerre où les valeurs sont redistribuées, où les acteurs de la scène des arts et de la littérature doivent renaître pour recouvrer leurs places. L'équipe va en effet quitter " le bord du fleuve marin ". Bonnard presse son nouveau marchand de s'intéresser rapidement à la situation parisienne. Il a d'abord un souci personnel : revoir le plus rapidement possible son atelier parisien abandonné depuis quelques années. Le voyage se fait en octobre 1944. Le maître a un second souci : il lui faut éclaircir une situation confuse d'expertise avec M. Schoeler dont les affaires sont immobilisées et sous séquestres à la suite de ventes malencontreuses avec l'occupant. Ce dernier possède le bail de grands locaux rue de Téhéran, ne croit plus à son avenir de marchand et cherche à céder ce bail improductif. Aimé Maeght le rachète et réglant ses affaires à Cannes laisse sur place Jacques Kober qui sera pour quelques mois la tête de pont parisienne de l'aventure Maeght. Pour Aimé Maeght l'investissement est de taille : assuré de la bienveillance de Bonnard, du désir de Matisse de trouver un nouveau marchand, le sien Simon Fabiani ayant disparu dans les chausse-trappes de la collaboration, entouré de quelques jeunes peintres, il joue une carte qui pour aussi sûre qu'elle paraisse aujourd'hui n'en fut pas moins problématique. Les temps de l'innocence sont en fait en train de s'achever. La Galerie va connaître tour à tour, le renom, la gloire et le scandale de l'exposition surréaliste de 1947, mais aussi les pires difficultés financières : le patrimoine d'Aimé Maeght va passer aux profits et pertes de cette aventure qui pendant un temps le domine. Il faudra attendre les années cinquante pour que réellement les fruits soient récoltés : ils sont alors abondants entre les mains d'un marchand qui est devenu redoutable. Mais au milieu de ce grand tremblement, l'éditeur ne se perd pas de vue. Les Cahiers de " Pierre à Feu ", " Derrière le Miroir ", entourent le grand œuvre qu'allait être les grands livres de bibliophilie. Au centre de cette activité Jacques Kober et bientôt Adrien Maeght qui à dix sept ans deviendra le collaborateur universel de son père et qui illustrera plus tard ses talents propres dans ce qu'il sent être le fond de sa culture familiale : l'imprimerie et l'édition. En 1944 Jacques Kober a dix neuf ans, le sentiment de sa chance mais rien d'un assistant passif. Sa capacité d'agir est à l'image de son âge et ses intérêts décuplés par la position singulière que lui donne la Libération. Dès le Débarquement des alliés en Provence, en vertu d'une fraîche licence de Lettres et de la confiance que lui témoigneront très vite des écrivains comme Éluard, il remplit les fonctions de censeur militaire dans les organes de presse de la Libération, à Nice, à Marseille puis enfin à l'A.F.P. à Paris. Au carrefour des informations et sous l'autorité relative que lui donne ses fonctions " officielles " et le très honorifique titre de " directeur " d'une maison d'édition inconnue, il laisse aller son audace et entre en correspondance avec les hommes qu'il admire, guidé par ses intuitions et sa merveilleuse connaissance de la littérature vivante. Valery, Beckett, Paulhan, Breton, Bachelard, Char, Seghers, Emmanuel, Queneau, Éluard, Prévert et les autres, verront tôt ou tard ce jeune diable en recherche de textes, tout au plaisir d'agir et d'admirer. Les grands fabricants de papier comme les Montgolfier d'Annonay le verront obtenir l'une des denrées les plus rares de l'après-guerre. Les correspondances s'échangent avec les plus grands noms qui saisissent tous ou presque cette opportunité offerte à la littérature et aux arts par un jeune homme qui n'a que sa passion et un nouvel éditeur, Aimé Maeght, qui surprend par une qualité rare. L'attitude d'Aimé Maeght est souvent évoquée par ceux qui à cette époque le rencontrèrent : son désir était d'offrir à ceux qui voulaient bien de sa collaboration les conditions absolument libres de la réalisation et du travail ; que les artistes émettent des souhaits et il se faisait fort de les réaliser en dépit des mille difficultés que pouvait connaître un éditeur à cette époque. Plus d'un trouvait en fait chez lui une terre d'accueil, un lieu où s'exprimer hors des contraintes habituelles qui liaient artistes et éditeurs. Aimé Maeght savait aussi faire taire les difficultés économiques qui auraient pu après-guerre entraver les réalisations. Beaucoup dirent avec quelle émotion, voire surprise, ils se virent dans les premières expositions offrir une feuille de papier pliée - les premiers exemplaires de Derrière le Miroir - qui apparut comme le miracle d'une renaissance, le signe d'un faste incroyable. Le faste, le luxe dans une période de pénurie furent les traits frappants qui firent connaître Aimé Maeght. Mais que faut-il entendre par là. Aimé Maeght était loin à cette époque de pouvoir vivre le faste et le luxe, mais il en avait le désir et le goût, et l'accompagnement des artistes en devenait le prétexte. Chaque livre fut un risque, chaque édition fut un miracle. Alors que se préparait la réelle puissance de la galerie d'art, les éditions étaient autant d'actes gratuits, autant d'aberrantes décisions commerciales. À peine les premiers Cahiers de " Pierre à Feu " étaient-ils parus qu'Aimé Maeght en fit tirer, à l'aide d'un procédé de reproduction photographique, une édition de poche : fac-similés en formats réduits, ils furent tirés à 40 000 exemplaires. Les tourniquets des halls de gare n'étaient en fait pas prêts à recevoir tant de beauté, tant d'élévation de l'esprit. Ce fut un échec retentissant. Ces petits livres qui contenaient la fleur de la littérature francaise et les traces des plus grands peintres reprirent le chemin du bouillon : le papier était à l'époque trop rare pour qu'une telle merveille puisse être stockée. Quelque chose de profond se jouait entre Aimé Maeght et lui-même. Peut être la volonté d'ouvrir l'espace qui serait celui de son prestige, la volonté encore de réussir ce que ni Kahnweiler, ni Vollard ne réussirent à faire, les livres auxquels la postérité associerait son nom. Quelles furent les caractéristiques des premiers livres de bibliophilie ? D'abord le désir évident de ne pas entrer dans l'ordre d'une répétition. Chacun des livres a son format, sa logique et les traces touchantes d'un véritable désir d'artisan. L'audace aussi de confier le texte ou l'illustration à de jeunes écrivains, à de jeunes artistes. Ne voit-on pas dans le second livre publié en 1947, Le Vent des épines, des pages de Jacques Kober associées à Matisse, Braque et Bonnard ? Ne voit-on pas le magnifique Bestaire d'Éluard en 1948 accompagné de 86 eaux-fortes de Roger Chastel tandis qu'un autre texte d'Éluard Elle se fit élever un palais paraît accompagné de bois gravé de Rezvani, alors peintre, et tiré à 16 exemplaires ? Chaque livre est une aventure qui demande à chacun de s'accorder et à l'éditeur de réaliser jusqu'aux demandes les plus rares. Les auteurs dans ce contexte se sentent libres, sûrs qu'ils sont d'avoir avec eux un éditeur parfaitement au fait des techniques de l'édition et ayant plus encore l'œil qui assure la réussite de l'objet. Souvent confiés à Mourlot et aux plus grands, les premiers ouvrages portent les traces de tout l'amour qui fait un livre en réunissant les attentions successives de tous ceux qui se sont penchés sur lui. Plus tard, lorsqu'Adrien Maeght ouvrira l'imprimerie Arte les éditions auront leur outil propre. Aimé Maeght est donc devenu l'éditeur que nous connaissons. Sa galerie connaît en quelques années ses premières reconnaissances. En 1947, elle est le théâtre d'une aventure autant littéraire que picturale. Aimé Maeght comme Jacques Kober sont particulièrement attentifs au retour difficile d'André Breton : ce dernier revenant de New York où il avait été en tant que speaker la voix francaise de l'Amérique, se trouve aux antipodes de l'intelligentsia regroupée au sein du Comité National des Écrivains qu'anime avec l'art florentin qu'on lui connaît, Aragon. La guerre est déclarée entre ceux qui furent les princes du surréalisme : passé qu'Aragon veut oublier et dont Breton est le fantôme. Le premier geste de Breton en rentrant à Paris fut on ne peut plus clair. Réunissant les surréalistes, il rédige un tract sans ambiguité qui s'intitule Rupture inaugurale ! Ce tract dénoncait dans des mots difficiles à penser et à entendre ce que Breton appelait " les compromissions de la résistance " ! La pensée de Breton était simple : le désir de liberté qu'avait manifesté le pays n'avait pas à s'encombrer d'une dette morale que le C.N.E. voulait qu'on eût vis-à-vis de l'idéologie communiste. L'exposition que le groupe surréaliste organisa alors s'ouvrit dans un climat de conflit détestable : tract, contre-tract, articles, pamphlets, provocations. La galerie fut du jour au lendemain investie par une foule qui faisait queue rue de Téhéran et qui assurait par là même la reconnaissance définitive du nom Maeght dans le public. Quelques années plus tard, l'exposition " l'Art Abstrait " organisée par Michel Seuphor qui permit de montrer en France les premiers Mondrian, assurait la reconnaissance de la Galerie Maeght par le monde des arts. Les paris d'Aimé Maeght étaient gagnés. Les collaborateurs avaient changé et l'œuvre s'en allait vers les sommets, vers ce que l'on aime appeler aujourd'hui le professionnalisme et qui est la gestion de la réussite. Parmi les talents qui s'exercèrent aux côtés d'Aimé Maeght revient le nom de Louis Clayeux vers qui vont tous les hommages. À partir de 1949 les Cahiers de " Pierre à Feu " perdent leur formule thématique qui permirent de voir apparaître le merveilleux Provence Noire illustré par André Marchand, Les Miroirs Profonds de Matisse, pour devenir progressivement des anthologies d'images comme le furent Le Surréalisme en 1947 et L'Art Abstrait et enfin des monographies. La galerie riche maintenant de ses peintres les honore dans des livres monographiques qui constituent une impressionnante collection. La bibliophilie s'attache à réunir à égalité de prestige les écrivains et les peintres, chérissant particulièrement l'œuvre de Miró. Il serait plus simple alors de chercher qui parmi les grands noms des lettres et des arts n'a pas habité ne serait-ce que l'espace d'une page, le Livre ouvert des éditions Maeght. Dans cette liste vertigineuse, un livre étrange, une rencontre, un signe. Aimé Maeght réalise avec Georges Braque un projet d'Ambroise Vollard, l'édition de Théogonie d'Hésiode. Les dix-sept eaux-fortes réalisées en 1933 pour Vollard accompagnent le texte original en grec qui propose dans le secret de ses signes la longue liste et la filiation des dieux. 1953. Cette année-là Aimé et Marguerite Maeght perdent Bernard, leur second fils. Vingt ans plus tard, le 13 juillet 1973, Aimé Maeght descend la colline de Vence pour aller accueillir André Malraux. Il passe devant la chapelle Saint-Bernard dont les vitraux ont été dessinés par Braque et autour de laquelle il a construit la Fondation. C'est sur cette page arrachée que la lumière pleut.
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